PARAMACA

Time for Rainforest

Vaste, végétale, humide, bruissante, sombre, enchanteresse ou encore hostile, la forêt primaire de Guyane ne manque pas d’adjectif et a sollicité depuis longtemps bien des imaginaires. Dès les voyages des grands explorateurs du 18ème siècle, des récits souvent fabuleux ont entretenu une image déformée de ces forêts. Une crainte de ces milieux est alors apparue. Mille dangers vous attendaient si vous aviez le malheur de vous enfoncer dans cet enfer végétal. Monde peuplé de serpents venimeux, d’araignées, de plantes carnivores et de lianes traîtresses vous immobilisant jusqu’à la mort.

Depuis quelques années, une autre vision est apparue. Sur la vague verte de l’écologie environnementale, ces grands espaces encore vierges sont devenus les poumons de notre planète. Ces forêts ont maintenant leur utilité. Leur exploitation est condamnée. Leur protection est à l’ordre du jour. Leur accès est réglementé. Ne sommes-nous pas en train de l’inventer à nouveau ?

Nous pensons qu’un autre regard est possible. Celui de l’observateur patient. Loin du mépris, de la contemplation niaise ou de l’imagination débridée, nous proposons une approche sensible de la vie qui anime cette forêt primaire. Au travers de regards apaisés, se dessine alors une nouvelle perspective, un chemin accessible et nouveau du milieu que l’on imaginait connu.

Ce regard est aussi celui du botaniste. De celui qui prend la peine de renouer avec le temps long du végétal. Avec la contemplation pertinente et de l’immobilisme actif.

Ce film veut être un film d’observateur, un film naturaliste.

Ne montrant que ce que l’on voit, il ne répondra pas au standard des belles images, superlatives et de hautes techniques. Il restera au plus près de la forêt.

Par ailleurs, elle ne vous montre jamais ce que vous attendez. Elle vous surprend. Plus que des feuilles mortes, des grands arbres d’une cinquantaine de mètres, des palmiers, des fougères, des mousses, des fleurs, des orchidées, des épiphytes, des lianes, la forêt tropicale primaire de Guyane est un univers complexe et intriguant.

Passionné de botanique depuis plusieurs années, j’ai pu, grâce à de riches rencontres sur le terrain avec des professionnels et par des échanges plus théoriques, prendre conscience d’une façon originale de regarder et d’appréhender le monde végétal, faite d’une certaine tendresse, d’une bonne dose de curiosité et du respect que se doivent les êtres vivants. Qualités d’observation bien souvent peu présentes dans la plupart des films documentaires, fussent-ils naturalistes. Mais comment montrer en observant ? Comment traduire en images et en sons ce regard particulier du botaniste, à la fois ouvert, aigu, disponible, obstiné et précis.

Nous avons choisi de croiser deux techniques, celle du cinéma et celle du documentaire. De la fiction, on prendra le temps de la narration, du documentaire on retiendra l’exactitude.

Ce film a donc l’ambition de faire découvrir un monde ancien, apparemment immuable, de lente évolution, avant son altération rapide et sans doute inéluctable. Il souhaite étonner comme la forêt surprend, avec calme, de l’ampleur et un peu de folie dans le détail.

 

Je vous propose d’imaginer un vaste espace dégagé, recouvert d’une savane. Le sol, s’il n’est pas à nu, n’est plus recouvert que de quelques graminées. Au loin, on devine un arbre calciné. Le feu brûlera désormais chaque année le sol de ce nouveau paysage. C’était une ancienne forêt, que l’on pensait immuable. Une forêt tropicale primaire.

Car si, aujourd’hui, nous gérons convenablement nos forêts tempérées, il n’en va pas de même pour les forêts tropicales. Chaque année, et cela depuis plus de trente ans, nous déboisons près de quinze millions d’hectares de ces forêts.

Que sommes-nous en train de perdre ? Bien plus qu’une forêt, c’est tout un environnement qui disparaît, à jamais.

Dans cette forêt disparue, nous pouvions nous déplacer sans gêne. Dans la pénombre du sous-bois, un pour-cent de la lumière mesurée à la cime des arbres arrive au sol, quelques orchidées, solidement accrochées au tronc d’arbres géants, attirent l’oeil de l’heureux explorateur par de longues hampes florales d’un jaune clair et lumineux. L’arbre et la fleur sont endémiques, ils ne poussent que dans ce milieu spécifique. Au sol, de grandes fougères arborescentes occupent l’espace entre de petits arbustes et quelques vieilles souches en décomposition. Leurs troncs témoignent du temps nécessaire pour se développer dans un sous-bois humide et sombre. Ce temps rendu visible crée une harmonie particulière. Chaque plante est unique et se développe à son rythme végétal. Dans cette ambiance apaisée, le regard captivé devient curieux, plus rien ne semble oppressant.

Un palmier nous retient. Ses grandes feuilles, affaissées après un violent orage, sont recouvertes de mousses épiphylles. Dans ce monde déjà passionnant, ce détail nous entraîne dans la complexité d’un écosystème plus fin. Le tronc du palmier est recouvert d’épines cassantes ; entre les mousses, une scolopendre se fraie un chemin à l’abri d’un regard prédateur.

Vue de la canopée, la forêt prend son ampleur. Elle se perd dans l’horizon délavé par l’humidité de l’air. D’un côté, un nuage menaçant déverse un orage puissant sur la forêt. Derrière lui, de grandes fumerolles de brume s’échappent délicatement de la cime des arbres. Plus près, quelques lianes au nom fleuri, Norantea guianensis, éclatent d’un orange vif illuminant la cime verte de l’arbre de leurs lourdes floraisons. De petits oiseaux, tout aussi colorés, viennent se délecter du nectar que la liane leur offre, Chlorophanes spiza, avec ses plumes bleu vif, laissera la place à d’autres convives le temps de la fructification venue. Une vie, haute en couleurs et en espèces, anime chaque jour la canopée de la forêt primaire tropicale.

Le soleil est déjà proche de l’horizon. Dans le crépuscule, les grands toucans rejoignent en criant leurs perchoirs. Plus tard dans la nuit, après le bal des chauves-souris, les insectes prennent leur envol. Dans un vrombissement sourd, l’étonnant scarabée Megasoma actaeon cherche une femelle, tandis que de grands papillons nocturnes survolent la forêt.

Cette forêt renferme une infinité de vies, végétales et animales, qui ont évolué en commun donnant naissance à l’un des plus beaux paysages naturels du monde.

Aujourd’hui menacée par l’action des hommes, la forêt primaire calme et méconnue … est en sursis.

 

Paramaca : Time for Rainforest - Tous droits réservés - Thibaud Syre - 2013